• Article

  Question de points de vue

mardi 17 juillet 2007, par Christophe

Voici probablement une nouvelle étape pour notre projet.

Les faits :

Jeudi dernier, 14 juin 2007, nous avons diffusé la pièce "Rumeurs cordemaisiennes" dans la centrale EDF de Cordemais. En effet, suite à la diffusion de cette même pièce dans la Salle du Pressoir à Cordemais, Bruno Diverchy, agent EDF plein d’enthousiasme pour ce qu’il venait d’entendre, fait tout son possible pour que soit organisée une écoute à l’intérieur même de la centrale pour les ouvriers. Le relai est pris par Yannick Letsther, agent EDF travaillant dans la centrale mais aussi très occupé dans ses activités syndicales et de comité d’entreprise, j’en parlerai plus tard...

La diffusion a lieu le midi dans une salle qui juxtapose la salle de restaurant. L’espace est clair et donne sur la Loire. Cette fois ci, pas de tapis ni de coussin au sol, nous savons déjà que le temps d’écoute consacré par chacun sera court, nous installons donc 8 chaises en rosace au centre.

Visiblement, Yannick a bien communiqué l’information : des affiches placardées, des cartes postales distribuées et il n’hésite pas à interpeler ses collègues à chaque coins de la centrale pour leur rappeler qu’ils sont les bienvenus.

Midi, le début de la séance, le son est en place et nous n’avons plus qu’à attendre... Les premiers groupes d’ouvriers se dirigent directement vers la salle de restaurant pour prendre un repas bien mérité ! Le temps passe et finalement après avoir discuté avec eux, deux ouvriers vont écouter la pièce. Par la suite, d’autres viendront mais ils sont plutôt rares, après leur sortie du restaurant ils retournent rapidement à leur travail. Alors, comme Yannick, je vais à leur rencontre pour les inviter à rentrer dans le cercle de haut-parleurs mais ils semblent gênés voire intimidés par cette idée d’écouter une "installation sonore" ! Et la plupart de ceux qui osent me disent seulement avoir le temps de "jeter un oeil". Mais finalement, nous devrons rajouter quelques chaises pour un public assez hétérogène : ouvriers, employés des services communication et environnement, artistes, une personne de l’association Estuarium...

Vers 13h, tout ce petit monde est retourné à ses occupations. Nous sommes invités à nous restaurer après quoi nous démontons l’installation.

Ce que je trouve très intéressant dans cette expérience, c’est qu’elle m’a fait prendre conscience de certaines réalités que j’avais peut-être un peu oubliées. En effet, les impressions du public de la Centrale et plus précisément les ouvriers, étaient beaucoup plus contrastées que celles que nous avions pu entendre lors des diffusions précédentes (festival SONOR à Nantes et la salle du pressoir à Cordemais). Pour certains, ils trouvaient cela "banal", "des sons que l’on entend tous les jours". D’autres qui commençaient à se détendre sur la partie de la pièce plus "nature" avec les sons de la Loire, ont trouvé déplacé d’écouter ensuite des sons qui leur rappelaient leurs tâches quotidiennes. Certains, disaient qu’il n’y avait pas là tous les sons de la centrale, qu’il en manquait et puis que cette pièce n’avait pas un caractère suffisamment "spectaculaire". La plupart ont cherché la causalité des sons et je ne crois pas qu’à un certain moment ils se soient laisser emporter dans une écoute abstraite et déconnectée du lieu et du temps. État qui peut permettre d’entendre de fines variations à l’intérieur d’un son épais à priori statique. État qui peut permettre aussi de lâcher prise et de ne plus chercher à comprendre des associations sonores logiques par leur histoire, comme un son d’eau mixé au même niveau qu’un son d’usine... Alors pourquoi ?

Cette pièce n’est pas adaptée à une écoute furtive, elle nécessite du temps et de la disponibilité. Ici, le temps, il y en avait peu : après le repas et avant le travail. La disponibilité : pratiquement pas et c’est une première réalité que j’avais peu à peu occulté, celle de voir la centrale comme ce qu’elle est avant tout : UNE USINE (voir l’article sur la visite). Une usine dans laquelle, le niveau et les types de sons, contrairement à ce qui transparait à l’extérieur, peuvent être puissants, sont omniprésents et nécessitent souvent une protection auditive.

Mais le plus grave, peut-être, c’est d’avoir oublié qu’une usine, y compris chez EDF, c’est aussi des individus, des hiérarchies et puis une entreprise. Avant nous parlions de service public, aujourd’hui les choses changent, nous entendons parler d’ouverture du marché, de privatisation, d’actionnaires, de service commercial. Depuis des mois, nous rencontrons des Cordemaisiens, souvent assez fiers de leur centrale. Extérieurement, comme nous l’avons déjà fait remarqué, elle relativement silencieuse et peu polluante, du moins tout est fait pour. Elle apporte aussi un certain confort économique à la ville et bien évidemment assure quelques emplois pour une partie de la population. Peu à peu, j’ai aussi idéalisé et fantasmé sur l’univers de cette usine, tournant autour, la captant, l’admirant de jour, de nuit, de loin et de près. J’ai imaginé ceux qui y travaillent, mais d’une façon bien peu réaliste car les conditions de travail sont parfois difficiles voir dangereuses, certains ouvriers sont inquiets pour l’avenir et l’évolution de leur emploi, après quelques années ils peuvent ressentir une certaine lassitude, plus d’imagination, l’individualisme prend le pas sur l’esprit collectif, et leur outil de travail, LA CENTRALE, ne correspond pas forcément, comme je commençais à leur croire, à un idéal. J’ai cru, effectivement, qu’en leur faisant écouter notre vision de leur univers au travers de sons relativement réalistes, que nous transcenderions ensemble l’origine de ces sons vers un plaisir partagé dans une beauté sonore.

Depuis le début de notre projet, c’est pour moi l’expérience la plus riche et la plus forte, car elle me fait de prendre du recul pour voir ces hommes et leur environnement d’une manière beaucoup plus réaliste et probablement aussi plus respectueuse.

Nous avons encore quelques mois à venir ici, à Cordemais, j’attends donc impatiemment les prochaines rencontres.

J’ai aussi eu le plaisir de côtoyer à nouveau Yannick Letsther, qui déploie une grande énergie pour susciter la curiosité de ses collègues et pour lesquels il semble avoir de l’affection. J’ai aussi découvert que c’est un homme exigeant, précis, prévoyant, drôle et responsable. Je lui suis très reconnaissant d’avoir organisé, dans la hâte et sans nous connaître, cette première rencontre.